L'individualisme face à la mort.

Publié le par vers une conscience des possibles

Je lance une petite rubrique de critiques de l’« actualité » culturelle. N’étant pas forcément à la page, il est possible que je me penche sur des films, spectacles, etc. que vous avez déjà vu depuis un certain temps, je m’en excuse par avance.

 

J’ai vu hier le film de Woody Allen, Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu, que j’ai aimé, bien que, ou devrais-je dire, parce qu’il met mal à l’aise. La première impression est plutôt défavorable ; comme un cycliste qui dopé à l’insu de son plein gré verrait se rapprocher une nouvelle injection, ici, de comédie romantique, seule capable de nous procurer, pour un temps seulement, le kaléidoscope nécessaire à l’appréciation de cette fameuse vie en rose. Puis on s’aperçoit avec plaisir que ça ne marchera pas, pas aujourd’hui, car chacun, dans le film, n’en fait qu’à sa tête, et la machine s’enraie. Un Woody Allen qui se prend alors à critiquer notre société, avec toute la subtilité nécessaire, cependant, pour nous faire croire jusqu’à la fin, humour juif peut-être, que non, tout va s’arranger, que le miracle se réalisera. Mais il n’en est rien.

 

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Immergés dans leur propre recherche d’une âme sœur, aucun des personnages ne semblent s’apercevoir que cette quête existentielle est partagée par tous. En réalité, les intérêts divergent beaucoup trop pour qu’ils se rappellent, ne serait-ce, que de ce qui a pu unir cette famille en cours d’implosion. Toute notion, ou presque, d’histoire commune a disparue. Si leurs rencontres respectives sont évoquées, le passé, ces injections de sentimentalisme, n’ont plus l’effet somatique escompté, comme le souligne le narrateur. Les personnages se comportent alors comme des amnésiques, d’autant plus pitoyables qu’ils ne prennent pas conscience de leur état, laissant à leur projection l’amer goût de la fuite en avant, voire d’un l’Eternel Retour du même. 

Finalement, l’aspect dramatique du film réside ainsi dans le fait que personne ne s’inquiète des problèmes de chacun, leurs propres problèmes focalisant leurs attentions, au point de tuer dans l’œuf toutes tentatives de décentrement. Mais comment pourrait-il en être autrement, l’homme qui vit dans le présent, considère ses intérêts, et uniquement ses intérêts. Impossible de se mettre à la place d’autrui, puisque nous sommes dénués de toute expérience, de  tout point d’ancrage qui nous permettrait d’effectuer des rapprochements entre notre vécu et les problèmes de nos proches. L’amour n’est plus alors l’apanage que d’obsessifs aux objets convergeant : la mère qui rencontre un inconnu épris comme elle de spiritisme.

 

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Critique donc de l’individualisme, sous toutes ses formes : hédoniste ou machiste (avec le père),  égoïste artistique (avec le mari), capitaliste (avec la fille), et religieux (avec la mère). Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu nous projette donc dans ce monde merveilleux où même Londres devient une ville radieuse, indice peut-être, de l’ironie du réalisateur. Les personnages, en tout cas, parlent, communiquent, se comprennent, sont conscients qu’un avenir les attend, mais privés de tout passé, ils en ont perdu toute empathie. Se substituent à ces silhouettes que l'on croyait humaines, des Monstres. Des monstres en instance de mort et, peut-être, de future réincarnation pour devenir, qui sait, des humains, cette fois-ci.

 

 


 

Publié dans Arts

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