La philosophie ou l’art de se (re)coiffer!

Publié le par vers une conscience des possibles

Il est des images qui évoquent dans la pensée collective le travail du philosophe. La plus connue, certainement, a été évoquée par Platon, dans la République. De manière allégorique, le sage grec imagine une cité caverneuse où le philosophe, connaissant  la vérité, guide des hommes éblouis vers le vrai et unique puits de lumière. Muni des insignes de la royauté, qui n’est autre que la sagesse, centre névralgique autour de laquelle s’organise un cosmos qui prive les hommes de toute possibilité d’action, le philosophe se place donc en supériorité par rapport à ses concitoyens. De façon persistante, une telle image autorise un certain mépris élitiste pour ces hommes qui jusqu’ici prenaient des ombres pour des réalités.

 

(Je vous laisse avec une réponse à Platon de John Lennon! cf. second couplet)

 


 

 

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Une seconde image, plus récente, et qui prend toute son ampleur au moment de l’émergence de la philosophie idéaliste allemande, est celle du sage en retraite/en exil dans son propre pays. Du promeneur solitaire de Rousseau à la vie de Kant, le philosophe est un être discret, il médite, en marge des passions qui se déchaînent, ailleurs, en ville. On retrouve peut-être un peu de la sagesse contemplative grecque, à ceux-ci près que la modernité est passée, et la méditation n’est plus une simple quête d’ascèse spirituelle et de retrait du monde. Pourtant l’image de la tour d’ivoire vise bien à discréditer un être qui a force d’abstraction s’est enfermé dans un lieu où il n’est plus compris de personne. Le philosophe, contrairement aux scientifiques, devient, à défaut du fou du village, prophète en perdition, l’égocentrique, tout juste séparé dans la chaîne de l’évolution de l’albatros, à ceux-ci près que son vol n’a rien de glorieux. Produit de l’individualisme, et donc de la modernité, il n’a néanmoins pas passé le test de l’utilité, et est voué  à disparaître. La philosophie, perdue dans l’abstraction, se meurt devant la science technicienne.


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Une ultime figure fût ébauchée en parallèle, et co n nut son heure de gloire, dans l’après-guerre avec Sartre en tête d’affiche : celle de l’intellectuel, philosophe, homme de lettre. L’intellectuel est alors omniprésent dans la sphère publique. Au service d’une cause, qu’il pense rationnellement juste, il prend parti dans l’arène politique, se faisant haïr ou idolâtrer, mais ne laissant personne indifférent, du fait même de la profondeur de ses arguments, et d’un charisme certain.

 

N’allez pas chercher bien loin : des intellectuels médiatiques, des mystérieux incompris, voir des philosophes rois qui jugent nécessaire de prendre les rênes de quelques ministères ; notre extrême contemporanéité en offre un beau bouquet. Il me semble pourtant que ces tableaux ne permettent d’envisager la philosophie que d’un point de vue élitiste. En marge, au sommet ou à l’avant-garde, le philosophe, par essence, semble devoir se détacher nécessairement d’une « masse ». L’idée même des Lumières oblige à penser comme extérieur un travail de réflexion éclairant l’obscurité apparente qui régnait au sein d’une société.

Les ouvrages majeurs de philosophie, ceux qui peuvent revendiquer ce titre de Lumières, dérogent pourtant à cette règle, il me semble. Si Lumières il y a, elles doivent plutôt se situer à l’intérieur même de la société. Le philosophe guide peut-être, mais il le fait au moyen d’une logique qui est partagée par tous. J’aime mieux voir, pour cette raison, le philosophe comme un obstiné qui s’évertue à démêler quelques généalogies d’idées historiquement empêtrées. L’image est peut-être frivole, mais pas complètement inappropriée, et je l’espère loquace. Elle n’est certainement pas révolutionnaire, je l’évoque plus au nom d’un ressenti personnel.

 

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Pourquoi démêler ? Parce que la nécessité de discriminer est première pour le philosophe, son rôle étant de dissocier, de rendre à l’évidence ce qui, hier encore, était confus. Mais l’image de ce nœud sur lequel l’attention se porte, est riche car elle suppose encore que le fruit de ce travail ne sera qu’éphémère : Sisyphe qui redescend vers son rocher pense, mais Pense, qu’il faudra certainement s’appliquer à redémêler un jour prochain. Il n’est d’ailleurs pas anodin de voir que : qui démêle ne surajoute rien sur le temps long d’une analyse, tout juste restaure-t-il. Le bénéfice n’est donc plus qu’une appréciation du présent ; il n’y a plus de Progrès général des idées à espérer. Mais des progrès épars, ici et là, dû au cadrage analytique, inévitable du fait de notre attention qui ne peut porter sur le tout. Finalement, à l’instant même, où est dénoué une mèche, s’embrouillent quelques pensées délaissées, oubliés, qu’il faudra travailler bientôt. Il n’y a, pour cela, pas de fin à la philosophie. L’élitisme disparaît alors. Le philosophe travaille sur les idées, et s’y penche comme un paysan laboure sa terre (et ses propres idées ?). Nous n’allons nul part, à quoi bon le suivre, donc. Tout juste profitons des fruits de son travail, car démêler c'est encore rester maître de son destin!

Publié dans Philosophie

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T
<br /> Cette réflexion valait largement un peu d'attente ;)<br /> Et si tu la proposais en introduction au cours de philo au lycée? Je suis sûre que ça "décoifferait" (j'avoue c'est un peu facile!)<br /> En tout cas j'ADORE le lion, je veux les mêmes cheveux!<br /> Bisous<br /> <br /> <br />
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